Alors qu’il découvre l’existence du projet Dar Arbalou, Andreas en profite pour commander un tapis de style Glaoui qu’il avait rapporté du Maroc plusieurs années auparavant et que son chien avait depuis détèrioré. Sa demande porte alors sur un modèle de tapis présenté dans le catalogue Dar Arbalou et réalisé il y a près de vingt ans par les mains expertes de Fatima, porteuse fière du patrimoine berbère du Maroc et illustration parfaite de la belle tradition des Aït Ouaouzguite, au coeur du Haut Atlas marocain, dans l’un des territoires berceaux du tapis berbère marocain autour de Tazenakhte et d’Ouarzazate.
Après quatre semaines de tissage, le tapis s’étale dans toute sa beauté avec ses dimensions imposantes de 5 m de longueur sur 1,10 m de largeur. Fatima a reproduit quasi à l’identique son ouvrage d’autrefois, élaborant avec minutie ce tapis raffiné et complexe qui est devenu au fil du temps l’emblème de l’art traditionnel des tapis de l’ancienne confédération des tribus berbères des Aït Ouaouzguite.
Le tapis berbère au coeur du Haut Atlas
Le tapis Glaoui symbolise en effet la tradition berbère des communautés du Haut Atlas. Ce vaste territoire au Sud Est du Maroc s’entame depuis le col de Tickha, point de passage de tous les voyageurs en provenance de Marrakech et désireux de découvrir le Maroc des kasbahs et des ksours, celui des vallées et des oasis et plus loin encore le Maroc des dunes du grand désert du Sahara.
Ce type de tapis porte le nom d’une tribu originaire du village de Telouet, le clan des Glaoua. Cette tribu donna au Maroc de nombreux caïds, ces représentants du sultan au pouvoir parfois imposant qui règnèrent sur la région et les autres tribus au prix d’une autorité implacable et sans pitié.
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Le plus célèbre d’entre eux fut le caïd Thami El Mezouari El Glaoui. Ce dernier se fit connaitre par le rôle qu’il joua pendant toute la durée du Protectorat français sur le Maroc. Son surnom de “panthère noire” exprime à la fois son autorité et son sens politique. Depuis son fief de Telouet, dans sa majestueuse kasbah, il aimait afficher un faste luxueux lors des grandes cérémonies organisées pour accueillir ses visiteurs.
C’est dans cette optique qu’il se prit d’attention pour l’art traditionnel du tapis. Il poussa les artisanes à lui fournir des tapis de grande taille propres à occuper les larges pièces de sa demeure. Il les incita à créer des visuels raffinés mêlant couleurs et géométries diverses, le tout dans une harmonie rigoureuse et structurée, fidèle à l’image qu’il voulait donner de sa tribu.
L’écho poétique de l’âme berbère
Le tapis Glaoui a ainsi la particularité d’utiliser trois techniques traditionnelles de réalisation : la technique du tissage, du brodage, encore appelé le Chedwi, et enfin celle du nouage. Sa fabrication alterne des bandes tissées, les bandes nouées et le chedwi, le tout dans une organisation en fenêtre.
La technique du Chedwi est une des plus difficiles à manier et toutes les artisanes n’en possèdent pas l’expérience. Ce brodage mêle toujours un fil de laine noir et un autre blanc et construit méticuleusement un entrelacement autour du support de la chaîne en dessinant des diagonales, des courbes et toutes autres figures propres à exprimer le vaste catalogue des symboles berbères.
Le nom même de Chedwi, d’origine arabe, exprime l’idée de l’entrelacement, du lien, de l’enchaînement.
Fatima, comme chaque artisane de tradition amazighe, a puisé dans ce patrimoine pictural qui remonte à la nuit des temps. Les motifs qu’elle a posé sur le tapis Glaoui scandent
Ici nous avons le motif dénommé Tisdawine qui exprime en langue amazigue l’idée de colline, de vallonement.
Nous retrouvons un autre motif, très répandu, le Timanadine, qui exprime l’ondulement du serpent.
Le motif appelé Oufrisse indique l’idée de la chose aiguisée.
Enfin, le tapis Glaoui de la tradition Aït Ouaouzguite ne pouvait laisser de côté le motif central des communautés berbères, objet quasi universel, la fibule, ou le Takhllalt. Ici il est construit en une bande horizontale de laine nouée, cernée de part et d’autre d’une bande de Chedwi et d’une fine bande de laine tissée.
Aujourd’hui, ce genre de tapis trouve aisément sa place dans les habitats de caractère comme les maisons rurales en pierre. Sa dimension allongée le prête à occuper des couloirs.
Fatima a terminé son tapis Glaoui, validant une fois de plus la dextérité et la créativité de la femme de tradition berbère, ici au Sud Est du Maroc, et comme partout ailleurs dans les ruralités du pays.
Fatima a fait ce qu’elle aime le plus faire de sa vie, dans l’ordonnancement simple et régulier de son quotidien : donner corps à l’âme de son identité berbère. Et laisser cours, libre, à son élégance …