La genèse d’un tapis berbère ressemble à celle de tous les autres tapis disséminés parmi les communautés humaines depuis la nuit des temps. A chaque fois le rituel est le même, les gestes connus et répétés inlassablement. L’acte premier du tapis, fondateur, donne corps à l’intention de sa création : c’est le montage de la chaîne des fils de laine. Une fois tendus verticalement entre les deux ensouples horizontales du métier à tisser, cette chaîne accueillera les fils de la trame qui seront alors tissés sur la largeur. Entre plusieurs rangées de ces fils de trame d’autres fils de laine viendront se nicher, solidement entrelacés autour des fils de la chaîne.
La tradition millénaire d’une technique
La chaîne fait donc figure de squelette. Sa longueur décide de celle du tapis. Elle s’enroule dans sa totalité tout autour de la traverse supérieure faite d’un madrier massif percé de trous pour se tendre jusqu’à la traverse infèrieure, proche du sol, et à partir de laquelle le tissage du tapis s’entamera. Au fur et à mesure de son tissage, le tapis s’y enroulera, alors que la chaîne se déroulera.
En langue amazighe, le fil de laine qui constitue la chaîne se dénomme l’Idd. Ce terme aurait pour pour origine étymologique la racine BDD dont le sens exprime l’idée de se tenir debout. Cette racine illustre l’universalité sémantique des termes utilisés pour décrire cette activité millénaire. En effet, les termes grecs stêmôn et le latin stâmen expriment chacun le fil de la chaîne du métier à tisser le tapis et trouvent leur origine dans la racine indo-européenne sta/ste d’où proviennent les mots mettre debout (īstêmi en grec) et se tenir debout (stāre en latin).
La droiture des gestes sans cesse répétés
Le montage de la chaîne commence par l’étape de l’ourdissage et dans les traditions rurales du tissage, l’intervention de plusieurs personnes est nécessaire pour son bon déroulement. La première tâche consiste à planter dans le sol deux piquets à distance selon la taille voulue pour le tapis. Ce geste requiert l’expression d’une incantation religieuse pour remercier la terre de se voir ainsi meurtrie, tout comme pour le retrait du piquet. La tradition demande aussi de verser de l’eau dans le trou laissé par le piquer afin de permettre à la terre de se tasser.
Cette installation permet le déroulement méticuleux du fil en deux nappes parallèles qui se trouveront plus tard séparées par un roseau d’écartement afin de distinguer deux groupes de fils, le groupe des fils pairs et celui des fils impairs.
Ensuite un autre dispositif permet le croisement alternatif des deux nappes de fils de chaîne. C’est la lice, une barre solide qui est installée à l’arrière du métier à tisser et à partir de laquelle des cordelettes viennent s’attacher aux fils pairs de la chaîne.
Lorsque l’artisane fera descendre le roseau d’écartement, les fils pairs de la chaîne seront alors ramenés en avant par la pression du
bois et passeront ainsi devant les fils impairs. Lorsque le roseau se relèvera vers le haut du métier, les fils impairs seront ramenés vers l’avant. Ce croisement alternatif permet le tissage du fil de trame, sructure horizontale du futur tapis.
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La langue amazighe fournit plusieurs formules pour dénommer la lice, cette tige horizontale qui permet la séparation des fils de la chaîne en deux groupes. Dans les territoires de tradition Aït Ouaouzguite, les artisanes l’appellent Taghda. Ce mot exprime l’idée de rigidité et de justesse mais c’est surtout le terme précis pour désigner la tige centrale d’une feuille de palmier, objet naturel jadis utilisé pour cette fonction.
L’indispensable tassage de la laine
La charpente du tapis est en place. L’artisane va pouvoir insérer ses fils de laine, en trame de fond, en tissage alterné avec une aiguille ou bien en nouage point par point. De très nombreuses techniques sont alors possibles et leur usage, solitaire ou bien en mélange, définiront un style de tapis, en accord avec la tradition de la communauté d’appartenance de l’artisane.
Au cours de leur enchâssement dans les bras de la chaîne, les fils de laines se verront tassés les uns contre les autres, d’un geste vigoureux et méthodique de la main et avec l’aide d’un objet indispensable au montage du tapis, le peigne en fer forgé muni de sa poignée en bois. C’est le Taskka et ses griffes sans lequel le tapis ne peut trouver sa solidité.